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Réunion Beaulieu-sur-Mer 11-12 mars 2005 - Luxembourg

Le droit d’agir des associations sans but lucratif devant les juridictions administratives au Grand-Duché de Luxembourg


A l’instar des droits français et belge, le droit procédural luxembourgeois se fonde sur une conception individualiste de l’action, en vertu de laquelle les particuliers ne peuvent saisir la justice que pour sanctionner la violation de leurs droits individuels.

Ce n’est qu’exceptionnellement que les groupements et associations qui s’aventurent à défendre en justice les intérêts qu’ils se sont assignés dans leurs statuts voient leur démarche couronnée de succès.

Les difficultés qu’ils rencontrent sont de deux ordres.


Tout d’abord, les groupements dotés de la personnalité juridique peuvent, tout comme les personnes physiques, invoquer un préjudice personnel. Il faut cependant en tout état de cause, pour pouvoir accéder à la justice, que ces groupements adoptent une des formes prévues par la loi pour se voir reconnaître cette personnalité. Si leur activité a un but lucratif, ils peuvent – et doivent – adopter la forme d’une société, commerciale ou civile selon l’objet poursuivi. En cas de poursuite d’un but autre que le gain matériel, p. ex. social, sportif, philanthropique etc., ils doivent, s’ils veulent se voir reconnaître la personnalité juridique, prendre la forme d’une association sans but lucratif, ou celle d’une fondation, telles que découlant de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et les fondations sans but lucratif. Or, cette loi est caractérisée par un formalisme assez lourd qui réserve à nombre d’a.s.b.l. qui se croient en règle avec les exigences de la loi du 21 avril 1928, la surprise désagréable de se voir refuser l’accès à la justice pour inobservation d’une des formalités impérativement prévues pour pouvoir se prévaloir de la personnalité juridique (les statuts, qui doivent être publiés au Mémorial, de même que toute modification statutaire, doivent mentionner obligatoirement, entre autres, les noms, domiciles et nationalités des associés, les attributions et le mode de convocation de l’assemblée générale ainsi que les conditions dans lesquelles ses résolutions sont portées à la connaissance des associés et des tiers ; la liste des membres doit être déposée au greffe du tribunal d’arrondissement et être constamment maintenue à jour). Les partis politiques et les syndicats qui n’adoptent pas la forme de l’a.s.b.l. ne se voient pas reconnaître la personnalité juridique.


Une difficulté supplémentaire surgit lorsqu’un groupement, même régulièrement constitué sous forme d’a.s.b.l., entend demander en justice la réparation de l’atteinte aux intérêts collectifs qu’il défend. Ces intérêts collectifs ne se confondent en effet ni avec les intérêts de la personne morale, ni avec les intérêts individuels des seuls membres de celle-ci. – Il se pose alors la question de l’intérêt à agir de l’association. La jurisprudence luxembourgeoise se montre globalement restrictive lorsqu’il s’agit d’apprécier le droit des groupements pourvus de la personnalité juridique d’agir pour la défense d’intérêts autres que leurs intérêts particuliers. – Du moment que l’action collective est dictée par un intérêt corporatif caractérisé et qu’elle a pour objectif de profiter à l’ensemble des associés, le droit des groupements est largement admis. En revanche, dès lors que l’intérêt collectif en défense duquel une association prétend agir, même en conformité avec son objet social, se confond avec l’intérêt général de la collectivité, le droit d’agir lui sera en principe refusé.


Face à cette attitude restrictive de la jurisprudence, le législateur a été amené à intervenir dans certains domaines – protection de l’environnement, des animaux, du consommateur et lutte contre la concurrence déloyale – pour reconnaître à certains groupements la faculté de se constituer partie civile devant les juridictions répressives pour des faits incriminés par la loi pénale et qui portent un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre, et cela même s’ils ne justifient pas d’un intérêt matériel et si l’intérêt collectif défendu se couvre avec l’intérêt social assuré par le ministère public.


Certaines dispositions légales confèrent par ailleurs à des groupements déterminés le droit d’agir dans un but d’intérêt général devant les juridictions civiles et administratives. En ce qui concerne ces dernières, l’article 7 (2) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif prévoit la possibilité d’un recours contre les actes administratifs à caractère réglementaire ouvert à certaines associations. Ainsi, ne sont visées par ladite disposition légale que les associations d’importance nationale, dotées de la personnalité morale et agréées au titre d’une loi spéciale à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits constituant une infraction au sens de cette loi spéciale. Tout comme les personnes physiques, lesdites associations, pour voir leur recours déclaré recevable, doivent justifier d’une lésion ou d’un intérêt personnel, direct, actuel et certain. Il y a encore lieu de préciser que cette possibilité offerte à des associations d’introduire un recours contre un acte administratif à caractère réglementaire n’est ouverte que dans le chef des associations que pour autant que l’acte en question que l’association entend attaquer tire sa base légale de la loi spéciale dans le cadre de laquelle l’association requérante a été agréée.


Concernant les actions dirigées par des associations contre des décisions à caractère individuel, le Conseil d’Etat s’était montré intransigeant en exigeant une lésion à caractère individuel dérivant directement de l’acte litigieux et distincte de l’intérêt général de la collectivité, ce qui aboutissait à exclure pratiquement tout droit d’action des associations en matière d’autorisations administratives illégales, et cela même à l’égard des associations autorisées par la loi à se constituer partie civile. Les juridictions administratives qui ont pris la relève du Conseil d’Etat ne paraissent pas vouloir remettre en question cette jurisprudence. Ainsi, dans plusieurs jugements, le tribunal administratif a retenu l’irrecevabilité de l’action introduite par une association au motif que la loi refuse aux associations le droit d’agir contre les autorisations individuelles pour la défense de l’intérêt général. Le tribunal administratif a bien relevé qu’un des résultats paradoxaux de cette jurisprudence est que des requérants individuels, dont l’intérêt est quantitativement infiniment moins substantiel que celui des associations représentant une somme d’intérêts beaucoup plus importante, peuvent justifier, le cas échéant, d’un intérêt individuel caractérisé leur conférant l’intérêt juridique à agir, même si, dans certains cas, ces requérants individuels ne font que se joindre à l’action des associations concernées pour éviter l’irrecevabilité de l’action engagée par celles-ci pour défaut d’intérêt, mais il a souligné que telle est, à l’heure actuelle du moins, la position non équivoque du législateur.


Celui-ci vient en effet de témoigner une fois de plus de son intention de ne pas vouloir pour l’instant reconnaître aux associations un droit d’action généralisé pour la défense de l’intérêt général, la reconnaissance d’un tel droit constituant par ailleurs un certain abandon, de la part de l’Etat, à sa prétention à représenter et à défendre de manière suffisamment efficace l’intérêt général. On peut relever à cet effet la position adoptée par la commission de l’environnement et de l’aménagement du territoire de la Chambre des Députés adoptée le 22 avril 1999 à l’occasion de l’élaboration de la loi du 10 juin 1999 relative aux établissements classés. Après avoir relevé que la nouvelle loi reconnaîtra désormais aux associations agréées ayant pour objet social la protection de l’environnement le droit de se constituer partie civile dans les instances pénales et d’agir devant les juridictions administratives, contre les actes à caractère réglementaire, la commission relève que « s’agissant des recours dirigés contre les décisions administratives à caractère individuel, la problématique reste exactement la même après la loi de 1996 [qui a introduit le droit d’agir contre les actes administratifs à caractère réglementaire] qu’avant. Ainsi, les plaintes des associations de protection de l’environnement risquent de rester irrecevables à l’encontre de décisions administratives individuelles, à moins que la jurisprudence des nouvelles juridictions administratives ne s’écarte de celle de l’ancien Comité du Contentieux du Conseil d’Etat. – Il ne faut pas se leurrer. Par les dispositions retenues actuellement dans la loi il sera possible d’exercer des recours contre les règlements grand-ducaux d’exécution de la loi, ce qui n’a qu’une portée minime. Ce qui importerait ici, ce serait de pouvoir exercer un recours contre les autorisations d’exploitation individuelles délivrées par le Ministre de l’Environnement. Le ministre y fut favorable un certain moment, tout comme le président/rapporteur de la Commission et plusieurs membres. Mais il n’y avait pas de majorité politique pour faire ce pas supplémentaire. – Gageons que ce n’est que partie remise et que dans quelques années on ajoutera une telle disposition même si on pourra en limiter la portée, par exemple en limitant cette forme de recours aux seuls établissements de la classe I.


Il se dégage de cette prise de position qu’encore que le législateur en ait eu la possibilité et l’ait envisagé, il s’est délibérément refusé à accorder aux associations le droit d’agir contre les autorisations individuelles pour la défense de l’intérêt général. On ne saurait prétendre que le passage cité plus haut montre que le législateur voulait s’en remettre à l’évolution de la jurisprudence en la matière ; le passage en question montre au contraire qu’un accord politique sur la question n’a pas été trouvé et que, de toute manière, dans le moyen terme, le législateur envisage, dans l’hypothèse où il sera amené à accorder le droit d’action en question aux associations, de le réglementer.


Il est encore vrai que le Luxembourg a signé la Convention d’Aarhus du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, qui prévoit en son article 9, paragraphe 2, alinéa 2 un droit d’accès à la justice aux organisations non gouvernementales pour contester la légalité, quant au fond et à la procédure, de toute décision, de tout acte, et de toute omission touchant l’environnement. Cependant, ladite convention n’a pas encore été approuvée par une loi et est partant non applicable à l’heure actuelle.


Cette situation légale a donné lieu à plusieurs décisions essentiellement du tribunal administratif qui peuvent être résumées comme suit :

« Le législateur, bien qu’il en ait eu la possibilité et l’ait envisagé, s’est délibérément refusé jusqu’à ce jour à consacrer par un texte de droit positif dans le chef des associations un quelconque droit d’agir contre les autorisations individuelles pour la défense de l’intérêt général. Dans la mesure où le législateur a spécialement prévu la possibilité d’agréer des associations en vue de participer, dans l’intérêt général, à l’action des pouvoirs publics, l’intérêts de ces associations est a priori appelé à se confondre avec l’intérêt général, à moins que ne soit établie de façon parallèle l’existence d’éléments justifiant dans le chef d’une association un intérêt spécifique ne s’identifiant pas avec l’intérêt général, telle la qualité de propriétaire d’immeubles riverains, et pouvant dès lors fonder un intérêt suffisant à agir également à l’encontre de décisions individuelles prises dans le cadre de la protection de la nature et des ressources naturelles. »


« Les groupements régulièrement constitués sous forme de fondation ou d’association sans but lucratif, qui entendent demander en justice la réparation de l’atteinte aux intérêts collectifs qu’ils défendent, sont admis à agir du moment que l’action collective est dictée par un intérêt corporatif caractérisé et que ces actions collectives ont pour objectif de profiter à l’ensemble des associés. En revanche, dès lors que l’intérêt collectif en défense duquel les associations prétendent agir, même en conformité avec leur objet social, se confond avec l’intérêt général de la collectivité, le droit d’agir leur est en principe refusé, étant donné que par leur action, elles empiètent sur les attributions des autorités étatiques, administratives et répressives, auxquelles est réservée la défense de l’intérêt général. - Il est vrai que le législateur a été amené à intervenir dans certains domaines déterminés pour reconnaître à certains groupements la faculté de se constituer partie civile devant les juridictions répressives pour des faits incriminés par la loi pénale et qui portent un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’ils ont pour objet de défendre, et cela même s’ils ne justifient pas d’un intérêt matériel et si l’intérêt collectif défendu se couvre avec l’intérêt social assuré par le ministère public. Certaines dispositions légales confèrent par ailleurs à des groupements déterminés le droit d’agir dans un but d’intérêt général devant les juridictions civiles et administratives. - Concernant le droit d’action devant les juridictions administratives, l’article 7, alinéa 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif reconnaît aux associations d’importance nationale et légalement agréées le droit d’exercer un recours contre les actes administratifs à caractère réglementaire. En revanche, restent exclues de l’intervention législative en faveur d’une reconnaissance les actions dirigées par des associations contre des décisions à caractère individuel. A défaut de la preuve d’une lésion d’un droit à caractère individuel ou corporatif dérivant directement de l’acte litigieux et distincte de l’intérêt général de la collectivité, de telles actions ne sont pas admissibles à l’heure actuelle. »


« Une association qui agit dans l’intérêt corporatif de ses membres, lequel s’analyse en la somme des intérêts individuels des membres en question, professionnels de la santé, sans se confondre de la sorte avec l’intérêt général, justifie à suffisance de droit d’un intérêt personnel au sens de l’article 7 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996. - Dans la mesure où pour le moins les infirmiers, en tant que professionnels de santé ayant une qualification supérieure, se trouvent être visés directement par le règlement grand-ducal du 25 juillet 2002 en ce que par délégation émanant d’eux des aides-soignants peuvent être amenés à poser certains actes plus amplement définis au règlement grand-ducal déféré suivant des conditions d’exercice y précisées, notamment à travers son article 5, ensemble les annexes afférentes, le caractère direct de l’intérêt de l’association demanderesse se trouve établi. »


En ce qui concerne les partis politiques, et à défaut de personnalité juridique dans leur chef, la Cour administrative a retenu que :

« Sous peine d’anéantir le principe de la règle « nul ne plaide par procureur », une absence de capacité pour agir en justice d’un parti politique ne saurait être suppléée par l’analyse de l’intérêt à agir d’un certain nombre de personnes composant ce même groupe qui ne se prévalent d’aucune lésion à caractère individuel dérivant directement de l’acte litigieux et distinct des intérêts collectifs qu’elles affirment vouloir défendre ».

Quant à la capacité à agir des syndicats, un jugement du 19 juin 1997 du tribunal administratif a retenu qu’ « En n’accordant le droit d’agir en justice que dans des cas déterminés à des organisations syndicales qui, bien que reconnues par la loi, n’ont pas été constituées dans la forme prévue pour les associations sans but lucratif, le législateur a décidé implicitement mais nécessairement qu’en l’absence de texte spécial, ces organisations n’ont pas qualité pour ester en justice. » Une ordonnance du président du tribunal administratif, siégeant en matière de référé, est venue préciser cette jurisprudence en date du 14 janvier 2000, en indiquant que « Du côté salarié, d’une part, les organisations syndicales, même dépourvues de personnalité juridique, peuvent signer des conventions collectives de travail et exercer le recours prévu par la loi en cas de refus du dépôt de ces conventions, et, d’autre part, ces organisations syndicales sont les seules habilitées à signer de telles conventions et à agir en justice pour leur reconnaissance administrative. »


Luxembourg. Le 25 mai 2005